E - EAU
Régulièrement on entend dire par le Ministre de l'Agriculture que "le citoyen tunisien dispose de 460 m3 d'eau par an seulement ce qui place la Tunisie au bas du classement des pays souffrant de déficit hydraulique" . Le seuil de pénurie adopté par la FAO est de 500 m3/an et par habitant.
Si 80% de l'eau est destinée à l'irrigation, alors que reste-t-il pour la consommation ? De plus les ressources en eau sont limitées en termes de qualité. Un véritable stress hydrique comme disent les spécialistes. Combien de fois sommes-nous effarés à Djerba de voir l'eau du robinet, distribuée par la SONEDE, sortir aussi brunâtre des canalisations ?
A Djerba la situation est dramatique car en plus de la population, il faut alimenter en eau les nombreux hôtels. Quand on sait qu' un touriste consomme 4 à 5 fois plus d'eau qu'un habitant il y a de quoi s'inquiéter. Et je ne parle même pas du golf de Djerba qu'il faut entretenir sur la zone touristique, ni même des nombreuses piscines construites dans les maisons à louer pour les étrangers ! Les coupures d'eau sont fréquentes et l'été il faut compter avec une forte diminution de la pression et du débit. Les spécialistes évoquent aussi des pertes d'eau qui s'élèveraient à 30% des quantités transférées compte tenu de la dégradation et de la vétusté des infrastructures.
A Djerba l'eau vient un peu de la nappe phréatique, un peu de la pluie, et beaucoup du dessalement des eaux saumâtres avant que de pouvoir utiliser l'eau dessalée de la mer promise en 2017.
Le sous sol de Djerba est parcourue par une nappe phréatique qui a des caractéristiques très variables d'un point à un autre (profondeur, salinité). Il y a 30 ans on dénombrait plus de 2500 puits dont 1000 étaient abandonnés et déjà la nappe était surexploitée. La campagne de Djerba reste parsemée de nombreux puits en ruine flanqués de leurs bassins de réception qui permettait l'irrigation des cultures.
Les eaux de pluie (une moyenne de 200 mm par an) sont bien évidemment insuffisantes et ne sont guère compensées par la rosée facilement absorbée par les sols sablonneux. Par contre elles ne sont pas perdues mais largement collectées et stockées dans des citernes. Chaque maison d'habitation possède sa fesquia dont l'eau est utilisée pour la boisson et les préparations culinaires.
Aujourd'hui l'approvisionnement en eau de Djerba vient de l'île mais aussi du continent via le pipeline qui court le long de la Chaussée romaine. Il s'effectue au moyen de 2 stations de dessalement des eaux saumâtres à Djerba et à Zarzis. Mais le coût énergétique est très élevé pour de nombreux inconvénients : rejet des saumures, emploi de chlore et autres produits, et absence de législation concernant la potabilité des eaux traitées.
Après plus de huit ans de négociations et de transactions, parfois opaques, et surtout de manque d'informations pour le citoyen, une station de dessalement d'eau de mer est en train d'être construite à Djerba. Sa mise en fonction plusieurs fois retardée était initialement prévue pour avril 2017. Aujourd'hui elle n'est pas encore en service. Ce projet tuniso-espagnol a été cofinancé par la Banque allemande de reconstruction KFW et l'Agence Française de Déveoppement AFD. Il permettrait une autosuffisance en eau avec une production de 50 000 m3 par jour. Mais bon nombre de questions subsistent et les études d'impact restent floues. Où sera rejeté le sel ? à combien de kilomètres du littoral ? quel impact sur la faune et la flore sous marine ? la pêche vivrière sera-t-elle affectée ? Entre un investissement très coûteux et des conséquences pas toujours maîtrisées, il manque un véritable plan de gestion de l'eau.
Le collectif de citoyens Jerba Actions qui oeuvre sur Facebook pour la protection environnementale de l'île suit avec attention le déroulement des travaux. Mais la situation hydrique de la Tunisie reste alarmante. Avec en plus le réchauffement inéluctable du climat, de nombreuses questions se posent aujourd'hui avec acuité si on veut que demain l'eau demeure un bien commun pour tous.